Un article du bulletin paroissial de décembre 1918 raconte l’évènement.
« L’armistice de la Saint Martin. Dès que la nouvelle eût transpiré de la sous-préfecture, de la place on courait vers l’église, on voulait monter à l’assaut du clocher. «La cloche, la cloche ! c’est la victoire » ! […] Les ateliers ferment de suite, tout le monde quitte le travail, des groupes bruyants, nombreux, débouchent de toutes les rues sur la place. Les valides et les invalides sont bientôt là. Des figures pâles, émaciées, ravagées par la grippe, et pourtant rayonnantes de joie, apparaissent un peu partout les épaules enveloppées de gros châles ou de lourds manteaux. Tout le monde veut être
de la fête. On pavoise en toute hâte. Voici venir les pupilles, les chasseurs basques, dans leurs élégants costumes, les drapeaux et bannières des diverses sociétés, puis sur des piques, les têtes artistement crayonnées par M.D.S. de MM Clémenceau et Foch : on les accueille par d’enthousiastes acclamations. Puis apparaissent les têtes de Guillaume et du Kronprinz, du même auteur, ces caricatures sont copieusement huées. Enfin se groupe tout le conseil municipal, M. le maire harangue la foule, se fait applaudir vigoureusement. […]
La joie populaire coule à plein bord, c’est une joie franche, saine, bienfaisante, sans la moindre note discordante : elle est naturellement fort bruyante, mais d’une correction parfaite. Ce furent des moments inoubliables. C’était la Saint Martin, le déménagement des Boches ».

Le 11 novembre on manifeste sa joie à Paris et dans beaucoup d’autres villes. Mais tant d’hommes de femmes et d’enfants pleurent en silence…
Ce jour là Mauléon vit la même liesse que toute les villes des pays alliés. Cette joie est réelle car on espère que l’armistice mettra fin aux privations endurées pendant plus de quatre ans, et
qu’il rendra les hommes à leurs foyers. Mais ce n’est certainement pas le sentiment dominant à cette époque.
Le texte ne parle pas de ceux qui sont restés chez eux et qui n’ont pas le coeur à la fête.
« Un million quatre cent mille morts, cela fait combien de larmes » écrivait Roland Dorgelès. Combien sont restés chez eux murés dans leur silence et dans leur douleur? Sur le monument aux morts de Mauléon on compte 86 noms. Le village de Barcus pourtant trois fois moins peuplé en compte autant. Et que dire du petit village de Laguinge Restoue en Haute Soule qui a perdu 25 des siens, c’est à dire environ 1/3 des hommes adultes. La guerre de 1914-1918 a causé la mort d’environ un millier de Souletins, ce qui représente plus d’un homme sur cinq dans la tranche d’âge des 18-40ans.
Pour les survivants la vie est difficile. Le texte évoque ces personnes au « visage émacié » et portant de lourds manteaux ; on est au coeur de la terrible de grippe espagnole qui fit beaucoup
plus de morts que la première guerre mondiale.
Les difficultés du quotidien en 1918 c’est aussi la hausse des prix et les salaires qui ne suivent pas. Les ouvriers de Mauléon sont durement touchés et arrivent à peine à survivre. Le texte ne dit pas un mot de leur colère. Elle se manifeste par des grèves, des manifestations. En 1917, des tirailleurs sénégalais sont envoyés dans la ville pour briser un premier mouvement.
L’agitation continue les trois années suivantes, entretenue par les arrestations et l’obstination des patrons. En avril 1920 une longue grève paralyse l’ensemble des usines.
La fête de l’armistice n’est qu’une courte éclaircie dans une période particulièrement difficile. La fin de la guerre, ce n’était pas la paix, ni le retour à une vie moins difficile. Et les morts eux seraient à jamais absents.
Robert Elissondo